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Entretien avec Sylvia Marra

En préparation du message de la direction pour introduire ce premier rapport annuel, nous nous sommes longtemps entretenus avec M. François Fellay. Compte tenu des thèmes abordés et du contexte actuel, il nous a semblé tout naturel de présenter cette intervention sous la forme d’un dialogue.

François Fellay, tirer les conclusions d’une année telle que 2020 est-il vraiment possible ? Comment appréhendez-vous le résultat, comment le jugez-vous ?

En ce qui concerne l’aspect quantitatif du résultat, le ralentissement de l’activité en 2020 a bien eu un impact financier. Cependant, les conséquences économiques et sociales de la COVID ont été maîtrisées. Mais juger maintenant, seulement sur une quantité, ce serait passer à côté de beaucoup de choses. Il faudra travailler sur la durée avec les équipes pour évaluer réellement la performance de nos actions, au-delà des finances. Un résultat annuel est un exercice comptable, le découpage de l’action dans le temps d’un point de vue strictement économique. Pour OIKEN, 2020 représente bien plus que des chiffres, puisqu’on parle de son tout premier exercice !

Ce découpage de l’action dans le temps, comment doit-il se comprendre pour OIKEN, spécifiquement ?

Notre travail, c’est de transformer une vision politique et stratégique en objectifs annuels. Réaliser la transformation énergétique, c’est mener chaque jour des projets établis à long terme : 2035, 2050, 2060. Prenez le développement du chauffage à distance ou de l’énergie solaire, par exemple. Deux immenses dispositifs techniques et humains qui prennent un temps considérable à mettre en œuvre. Avec des repères temporels comme 2035, 2050, tout ça semble lointain pour la population. Alors que pour nous, ce sont des délais, et ils sont courts.

Dès les premiers mois de sa première année d’existence, OIKEN a dû faire face à une crise mondiale et sans précédent. Les choses auraient-elles été différentes dans un contexte plus « normal », selon vous ? Quelle incidence les événements de 2020 ont-ils eu sur la construction de l’entreprise, sur le développement de son identité ?

En 2020, nous avons toutes et tous vécu une expérience déstabilisante, comme si le monde s’était arrêté. Mais le temps ne s’est pas arrêté pour OIKEN ! La distanciation spatiale imposée nous a privé de temps ensemble, un temps précieux dans une phase de rapprochement. Une fusion, c’est fragile, complexe. Surtout au début, et même dans un contexte idéal ! Une identité se construit avec des expériences et du temps partagés. Malgré les restrictions, nous avons réussi à créer une proximité sociale réelle et décisive. Nous nous sommes mobilisés pour remplir nos missions ensemble et même en faire plus. Tout n’est pas parfait, mais on a été à la hauteur et on peut en être fier !

On vous a parfois reproché d’être trop optimiste, de faire comme si tout allait bien, de minimiser les difficultés…

La dynamique positive du début d’année a été mise à mal, oui. Mais quand je m’adresse à des centaines de collaboratrices et collaborateurs qui vivent une situation de crise, avec chacun son vécu personnel, je ne veux pas transmettre un message négatif. Être optimiste, c’est penser que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, ne voir que le bon côté des choses. Je ne suis pas un optimiste. Je cherche à me montrer absolument positif, ce n’est pas la même chose. C’est mon tempérament, et je considère que c’est aussi mon devoir ! La Direction générale doit montrer le cap, inscrire les choses dans le bon tempo, projet après projet, en jouant avec leurs durées, parce qu’on doit avancer constamment, même si tout n’est pas encore parfaitement stabilisé.

La différence que vous faites entre « optimiste » et « positif » est sûrement plus qu’un détail, au moment d’imaginer l’avenir et de trouver des stratégies viables en temps de crise. Voulez-vous développer un peu cette distinction ?

Être optimiste, c’est minimiser ou ignorer les problèmes. Être positif, c’est produire l’énergie et l’enthousiasme dont on a besoin pour les affronter, justement parce qu’on les voit. La crise ne peut pas nous faire oublier le climat, oublier les inégalités, les crises profondes qui étaient là avant, qui seront là après. La réalité, c’est qu’aujourd’hui, on fait ce qui semblait hors de portée hier. Je pense qu’on s’en est bien sorti, face aux défis supplémentaires et imprévisibles qui se sont immédiatement présentés sur notre chemin, dès nos premiers pas. On a fait de très belles choses !

Avez-vous un souvenir fort, un événement qui vous aurait marqué pendant 2020, auquel vous pourriez penser pour illustrer cet esprit ?

Il y a une scène qui me revient spontanément, oui. Il y a quelque temps, j’ai reçu dans mon bureau deux collaborateurs qui étaient totalement opposés sur un sujet particulier. J’assistais, passivement pour une fois, à la confrontation de deux esprits qui n’étaient pas optimistes, puisqu’ils débattaient d’un problème et qu’ils étaient en désaccord total sur la solution ! Mais ils étaient tous les deux positifs, parce qu’ils croyaient en leurs arguments, et ils s’écoutaient. C’était captivant ! Et c’est grâce à cette énergie, grâce à cet appétit authentique pour la recherche de solutions qu’ils ont fini par trouver la meilleure. En confrontant ouvertement leurs approches, ils ont compris comment les articuler pour en construire une nouvelle, plus forte. Je suis souvent très impliqué dans les décisions, alors j’aime beaucoup être le témoin de résolutions de ce type. Une tension positive qui aboutit naturellement à une solution forte. J’aimerais beaucoup que tous les désaccords puissent se résoudre comme ça, avant qu’ils n’arrivent sur mon bureau.

Vous parlez de « tension positive » et évoquez sa résolution naturelle, que vous aimeriez voir se produire sans votre intervention. Voulez-vous dire que vous avez observé trop de tensions négatives, de conflits ?

Non, je veux dire que j’ai vu une situation se régler comme elles devraient toutes l’être. Il y a bien d’autres exemples, et j’en suis extrêmement heureux ! Il y a eu des conflits, évidemment, mais j’ai observé que la franchise et l’opposition saine étaient la norme ici, sans le moindre doute. C’est notre style, et j’aime ce style ! Je le défendrai et le stimulerai sans relâche. Parce que la seule façon d’éviter les conflits, c’est d’exprimer clairement ses désaccords. Les conflits réels apparaissent lorsqu’on ne parvient pas à faire ça. Encore une fois, le maintien de rapports authentiques, faits d’oppositions vertueuses, est rendu particulièrement difficile par la distance. On l’observe dans tous les domaines de la vie et du travail, parce qu’il manque la richesse du contact, les opportunités naturelles de dialogue. C’est un contexte favorable aux malentendus, aux ruminations, chacun de son côté. Mais le dialogue intelligent est bien dans notre culture, je l’observe chaque jour.

Et que faites-vous, dans votre pratique quotidienne, pour limiter ces tensions liées à la distance ?

Il m’a semblé très important d’être sur le terrain aussi souvent que possible, notamment avec ceux qui ne peuvent pas pratiquer le télétravail. Pour canaliser les frustrations, apporter des réponses réelles, il faut comprendre et sentir les différences d’expérience. L’un des grands défis, dans ma pratique particulière, c’est de ne jamais chercher à plaire immédiatement à quelques-uns mais penser à long terme et pour tous. Se souvenir du temps, des nuances, rester conscient de ce qui vient, ce qui va changer. Je dois rester très attentif à la question de l’égalité. Elle est très importante et, pour se sentir bien ensemble, chacun doit recevoir la même considération. Notre métier c’est la transformation énergétique. Mais c’est aussi le sens et les pratiques de notre activité qui se transforment. Notre travail change parce qu’il doit accompagner une transition globale, crise ou non ! Ce passage est décisif, c’est un changement majeur, et il ne doit pas être trop brutal.

À quels changements faites-vous allusion en particulier, en lien avec la transformation énergétique et son impact sur vos équipes ?

Des métiers vont disparaître, c’est aussi simple que ça ! Et tout ce qui n’a pas été entrepris avant pour anticiper cette réalité, c’est à nous de le faire maintenant, dans une certaine urgence. Il faut accompagner l’évolution ou le changement de pratiques qui étaient là depuis des décennies. Rester accessible et comprendre les enjeux différents, c’est la seule façon d’obtenir réellement l’égalité de traitement et de la faire percevoir. Je me dois de faire preuve de franchise en intégrant la difficulté et en acceptant le désaccord, pour aller au-delà.

Et dans quel esprit avez-vous abordé 2021 ? Avec quels enjeux fondamentaux ?

Nos décisions pour l’évolution de la fusion, notre nouveau modèle d’affaires, tout ce qu’on fait aura un impact pour nous et pour la population. OIKEN agit au cœur de la vie des gens. On est acteur d’une ère de changements profonds qui s’accélèrent avec de nouvelles lois, de nouvelles réalités à intégrer, expliquer, accompagner. OIKEN se trouve entre le législateur, le régulateur et le citoyen. Pour tenir cette position centrale, nous devons préserver notre indépendance, rester près de nos valeurs et de la population. Nous devons créer de la richesse pour faire accepter le prix de la transition. Démontrer qu’elle apporte bien plus que ce qu’elle coûte. Ses impacts immédiats sont d’abord économiques, et ses solutions doivent donc l’être aussi. Elle doit devenir toujours moins chère. Notre mission entrepreneuriale est là. Nos enjeux fondamentaux, c’est de trouver les solutions adéquates, globales et durables pour réussir ce changement qui est immense, mais indispensable.

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